Les larmes : entre biologie, émotion et communication.

Les larmes sont souvent perçues comme un simple signe de tristesse, mais elles constituent en réalité un phénomène physiologique et psychologique complexe. Leur production, leur composition et leurs fonctions varient selon le contexte et témoignent d’une interaction étroite entre le corps et l’esprit. 

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"Excusez-moi", voilà ce que me disent de nombreux patients lorsqu'ils versent une larme. Ou encore "je n'aime pas pleurer, je me sens faible...". Souvent, je leur explique que c'est normal, que leur cerveau met alors en place ce qu'il faut pour aller mieux... Y a rien de plus naturel que d'exprimer une émotion. En effet, « retenir ses émotions peut être mauvais pour la santé. Les études ont démontré que retenir ses émotions était associé à un système immunitaire moins efficace, à davantage de problèmes de santé cardiovasculaire, à de l’hypertension et des troubles mentaux comme le stress, l’anxiété ou la dépression » (Leo Newhouse).

On distingue généralement 3 types de larmes :

  1. Les larmes basales : elles sont produites en continu par les glandes lacrymales, elles assurent l’hydratation et la protection de la cornée. Elles permettent une vision claire et préviennent les infections grâce à leur composition antimicrobienne.
  2. Les larmes réflexes: elles sont déclenchées par des irritants externes (fumée, oignon, poussière), elles ont pour fonction de protéger l’œil en évacuant les substances nocives.
  3. Les larmes émotionnelles: elles sont générées par une activation du système limbique, elles apparaissent en réponse à des émotions intenses  (tristesse, joie, frustration, empathie, ...). Elles sont uniques d’un point de vue compositionnel et fonctionnel.

Composition biochimique des larmes.

Les larmes sont une solution complexe contenant :

  • Eau (98 %)
  • Électrolytes (sodium, potassium, chlorure)
  • Protéines (lysozyme, lactoferrine, lipocaline, immunoglobulines)
  • Lipides (issus des glandes de Meibomius)
  • Glucides
  • Mucines (favorisant l’adhésion du film lacrymal à la surface de l’œil)
  • Hormones et neuropeptides (notamment dans les larmes émotionnelles, comme l’ACTH, l’endorphine ou la prolactine)

Frey et al. (1985) ont montré que les larmes émotionnelles contiennent plus de protéines et de composés liés au stress que les larmes réflexes. Cette composition unique suggère une fonction de décharge biologique de certaines molécules liées au stress.

Fonctions physiologiques et psychologiques

  1. La protection et la lubrification: les larmes basales forment un film lacrymal essentiel à la santé oculaire. Ce film se compose de trois couches : lipidique, aqueuse et mucinique.
  2. L'élimination des toxines: les larmes émotionnelles aideraient à éliminer des substances accumulées lors d’un stress émotionnel intense. Cela a été proposé comme une "soupape" biologique.
  3. La communication sociale: les larmes ont une fonction de signal, elles favorisent l’empathie et la coopération. D'ailleurs, les études de Hendriks et al. (2008) montrent que les personnes qui pleurent sont perçues comme plus sincères et dignes de soutien. Gračanin et al. (2014), eux, ont démontré que voir quelqu’un pleurer active des zones du cerveau associées à l’empathie (insula, cortex cingulaire antérieur).
  4. La régulation émotionnelle: le fait de pleurer aurait un effet cathartique. Cependant, les bénéfices émotionnels dépendent du contexte (soutien social, nature de l’émotion, etc.). Une méta-analyse de Rottenberg et al. (2008) indique que dans 70 % des cas, les personnes rapportent un soulagement après avoir pleuré (mais ce chiffre chute si elles ne reçoivent pas de soutien).

Contrôle neurologique:

La production des larmes est régulée par le système nerveux autonome :

  • le système parasympathique : il stimule la production lacrymale.
  • le système sympathique : il intervient dans les réponses au stress et module aussi la composition des larmes.
  • le noyau lacrymal situé dans le tronc cérébral joue un rôle clé, notamment en recevant des signaux du système limbique (amygdale, hypothalamus) lors de pleurs émotionnels.

D’un point de vue évolutif, plusieurs théories ont été proposées :

  • la théorie de la vulnérabilité : en effet, pleurer renforcerait les liens en signalant un besoin d’aide sans agressivité.
  • la théorie de l'attachement : les pleurs du nourrisson provoquent une réponse parentale immédiate, facilitant la survie.
  • la théorie de régulation : le fait de pleurer aiderait à restaurer un équilibre physiologique et social.

Les expériences sur les humains ne sont pas nombreuses. Des études ont été faites sur des bébés mammifères, retirés de leur maman . Ils produisaient des vocalisations de détresse:  une composante vocale qui s’apparente à celle que les humains émettent lorsqu’ils pleurent. Cette composante vocale qui se fait plus discrète en vieillissant, contrairement aux nourrissons. 

En résumé, non ce n'est pas être faible de pleurer... 

Anne-France Dinant

 

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